La valise aux nuages (3)

-Eh bien, je pourrais commencer et on verrait…
Il hoche la tête en même temps que l’oiseau.
Yeux dans les yeux,
Au même rythme,
Dans un même souffle,
Un autre chant commence.
En un battement d’ailes,
Une autre histoire recommence.
L’oiseau sourit rassurant,
Les yeux toujours profondément ancrés dans les siens.

–Bien…
Tu viens de là-bas n’est-ce pas ?
Surpris, il réalise soudain que l’oiseau comprend décidément beaucoup de choses.
Il respire et hoche positivement la tête
–Sais-tu comment ça fonctionne en bas ?
Il répond d’un oui assuré.
Il a suffisamment observé.
–Es-tu sûr ?

La question de l’oiseau l’amène à réfléchir.
Il a observé bien des choses :
Les peuples, les terres,
Les mers, les rivières,
Toutes les couleurs…
Toutes les fumées…
Et pourtant, pourtant…
Il n’y est pas resté, lui, en bas.
Sitôt que la fumée a commencé,
Il s’est envolé,
Deux pieds collés.
Oui, il regarde maintenant les pieds.
Il regarde sa fumée,
Pas sûr de comprendre ce qui lui est arrivé.
Et pourtant…
Tous ces nuages…
« Que disait-elle maman déjà à mon sujet ? »

Soudain, il se met à paniquer.
Il n’est pas sûr d’être prêt.
Il regarde les nuages noirs là-bas,
Ceux qui lui serrent le cœur.
Il regarde le tout rond, tout cotonneux,
Ce qu’il lui en veut !
Il regarde en bas,
Loin, là-bas,
Ce monde auquel il n’appartient pas,
Ce monde auquel il n’appartient plus.
Son refuge,
Ici, deux pieds collés,
La tête qui dépasse.
Et le vertige
Et la nausée
Et l’oiseau, qui lui caresse la main,
Et les yeux, ces yeux d’une profondeur…
Et ces yeux, ces yeux d’une douceur…

–Depuis combien de temps te caches-tu ici ?
Il fait lentement non de la tête.
Il ne sait pas.
Il ne sait plus.
L’oiseau sourit,
L’oiseau acquiesce,
L’oiseau a entendu tant et tant de fois cette histoire…
Qu’il ne demande rien.

Ils regardent ensemble en bas,
Puis se regardent.
Alors, l’oiseau tend son aile au loin,
–Tu vois là-bas ce vert ?…
Il fait oui de la tête
–C’est quelqu’un.
L’oiseau montre ensuite un autre point.
De la fumée grise.
Il fait oui de la tête.
–Quelqu’un…
Il fait oui encore de la tête.
–Cette forêt… ?
Oui de la tête.
–Cette rivière… ?
Oui encore.
–Ces immeubles… ?
Oui.
–Ce jaune… ?
Oui encore.
–Ce béton… ?
Oui.
–Ces troupeaux… ?
Oh, oui ! Il les voit !

Et de point en point, l’oiseau lui montre tout,
Tout ce qu’il a observé
Lui, tout là-haut,
Sans comprendre
Sans comprendre que chaque détail,
Chaque parcelle de tout ce qui se trouvait sur Terre
Avait été inventé
Par quelqu’un.

Quand l’oiseau lui a suffisamment montré,
Là, en bas,
Il recommence avec le ciel.
Chaque recoin, qu’il soit bleu ou nuageux,
Chaque étoile de nuit,
La lune aussi
Et tous ses croissants…
Il comprend alors,
Il comprend cet univers infiniment grand.

Et quand l’oiseau arrête de lui montrer,
Trois jours ont passé.
Trois jours entiers,
Et trois nuits.
L’oiseau lui dit alors qu’il est fatigué
Et qu’il aimerait, s’il lui permet,
Se reposer.
Tout à sa contemplation de ce monde nouveau,
Il acquiesce.
Et pendant que l’oiseau se repose
Là, toujours dans sa main,
Il réalise soudain,
Que durant ces trois jours,
Et durant ces trois nuits,
Il n’a pas une fois,
Non, pas une fois,
Produit de fumée.
Et là-dessus, il s’endort à son tour.

TO BE CONTINUED...