Elle
(9)
Wow était tout ce qu’elle arrivait à formuler. Elle avait reçu les livres, deux formats, deux styles différents dans un même objectif : un mode de vie durable et plus sain. Le Béa Johnson faisait un peu plus de 400 pages. Il retraçait la vie de l’auteure, son histoire, comment elle en était arrivée au zéro déchet, les questions qu’elle s’était posées, ce qu’elle avait analysé dans ses consommations pour chaque domaine de la maison, comment elle avait rentabilisé chaque ustensile de cuisine, étudié chaque tiroir, placard, l’utilité de chaque appareil, de chaque meuble et vêtement, jusqu’à rentabiliser son trajet de course en faisant un circuit ne tournant que vers la droite. Son credo : refuser/réduire/réutiliser/recycler/composter. Heureusement qu’elle précisait qu’on n’avait pas besoin d’être parfait. Elle avait même comparé tous les modèles de composteurs selon le coût, la rapidité, le type de déchets et s’ils convenaient au milieu urbain. À chaque problème une solution : pas de presse-ail ? Pas de problème. Le plat du couteau faisait l’affaire. Tout simplement impressionnant ! Il y avait même des recettes pour faire sa moutarde, sa lessive ou encore son mascara. Celui de « la famille presque zéro déchet », beaucoup plus ludique, tout aussi impressionnant, commençait par quelques infos sur la face cachée de nos déchets. Carine réalisa soudain qu’elle ne s’était intéressée qu’à sa poubelle, la non recyclable. Un autre monde s’ouvrait à elle et sa poubelle la percuta en plein plexus, à lui couper le souffle. Elle produisait à elle seule selon ce livre 13,8 tonnes de déchets par an comprenant ses ordures ménagères, les objets mis en déchetterie, les déchets industriels qui servaient indirectement sa consommation (agriculture, industrie…) Et ça ne comptait que les déchets des productions françaises, par les productions étrangères. Ils avaient à peu près le même leitmotiv que Béa Johnson : refuser/réduire/réutiliser/recycler (et composter)/revendiquer. Les deux livres mettaient en avant le coût du recyclage et donc ses limites. Elle apprit par exemple que contrairement à ce qu’elle pensait seulement 20 % des plastiques étaient recyclés, mais qu’en plus, ils ne pouvaient l’être qu’une fois et devenaient des déchets comme les autres par la suite. La nausée la reprit et cette fois elle comprit qu’en plus du dégoût, il y avait la colère. Elle en avait marre qu’on lui mente, qu’on la prenne pour une débile à qui l’on pouvait faire croire n’importe quoi, à qui l’on pouvait tout vendre en lui faisant croire qu’elle serait plus heureuse comme ça, ou que c’était bon pour la santé ou encore qu’on pouvait se racheter une conscience en triant ses déchets tout en lui faisant acheter toujours plus de plastique, de chimique, de tout prèrempli de colorants et d’additifs. Mais ils n’en sortiraient donc jamais !
Elle se leva, prit ses clés, appela le chien et sortit se promener. Bandit eu un peu de mal à suivre. Elle ruminait, pestait, marmonnait. Sa marche était crispée, son allure vive. Bandit voulait s’arrêter, renifler et il se faisait tirer par le collier. Il comprit vite qu’il devait trottiner. Au bout de la rue, un coin de nature avait été préservé, enfin, elle ne savait même pas s’il était naturel ou s’il avait été réaménagé et estampillé comme le reste. Ça sentait quand même la verdure, ça chantait comme la nature. Le soleil jouait entre les branches des arbres, projetait des rais de lumière en faisceaux argentés. Quelques oiseaux sautillaient de tache d’ombre en tache d’ombre. Bandit les ignora préférant renifler les pieds des bancs afin de connaître le visiteur précédent. Il agitait la queue curieux et joyeux. Ça avait l’air si simple d’être à sa place. Il inspectait chaque recoin, étudiait au millimètre là où il serait le plus efficace pour poser son odeur et couvrir celle de l’autre. Elle passa le reste de la promenade à l’observer, lui, les oiseaux, les arbres, les plantes, même les mauvaises herbes. Elle ne savait pas au final comment tout ça fonctionnait. Elle avait cru comme le reste. C’était là bien avant elle et s’ils ne foutaient pas tout par terre, ça pourrait le rester après. Alors c’était quoi son excuse ? D’autres l’avaient fait avant elle et oui ils avaient été loin, ils disaient qu’ils pouvaient encore faire mieux. Elle, elle ne faisait que débuter. Elle commençait juste à ouvrir les yeux et elle préférait se tourner vers la nature que vers sa poubelle. Mais si personne ne faisait rien, dans ce petit carré de nature il n’y aurait plus qu’une décharge. Elle ne voulait plus participer à ce système. Bandit avait fini par se calmer lui aussi. Il s’était allongé et regardait autour de lui.
-Tu viens mon beau ?
Elle fit un mouvement de la laisse qui fit lever le chien. Ils repartirent dans l’autre sens. Certes, les livres avaient été violents car ils lui avaient montré son ignorance et l’ampleur des dégâts et de la tâche. Mais ils étaient aussi plein de conseils. Elle les lirait, observerait sa maison, leur consommation et mettrait en place une chose à la fois. Elle pensa à David, Jérémie, Chloé. Jusqu’où la suivraient-ils ? Elle ne savait même pas jusqu’où elle voudrait aller et elle se dit que c’était peut-être mieux. Un petit pas à la fois. Ses solutions à elle pour elle et pour sa famille. Elle venait de comprendre la première de ses règles du jeu.
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