graines (17)

graines (17)

graines (17) 150 150 Les rivières de [mo]
Lui 
(9)

Ce matin-là il avait senti les imperceptibles variations de l’air. La sensation de douce tiédeur d’abord, le cocon moelleux du matelas, de la couette et l’accueil confortable de l’oreiller sous la joue, la douceur des frottements des draps sur la peau, l’odeur du réveil. La nuit avait été calme et reposante. Son corps ne lui renvoyait rien d’autre que de la détente et de la sérénité. Aucune pensée ne l’assaillit, son esprit était clair et disponible à savourer chaque détail de cette nouvelle atmosphère. Il lui avait fallu vingt-trois jours. Vingt-trois jours pour effacer, récupérer, trier, faire du vide pour accueillir le nouveau. Vingt-trois jours pour accepter de découvrir. Là, au milieu du lit, il s’étira avec la langueur du chat et le sourire aux lèvres. Il enfila négligemment les vêtements de la vieille posés sur la chaise de bureau et descendit pieds nus à la cuisine. La sensation du carrelage froid sous ses pieds le vivifia. Il aima ça. Il troqua la tasse du matin contre un mug, versa le café. Il le porta à la bouche et s’arrêta dans son élan. Devant la fenêtre de la cuisine, le regard perdu vers les nuages, il huma le parfum corsé et piquant tout en se concentrant sur la sensation qui naissait dans sa bouche avant même la première gorgée. Une acidité rude naquit sur les côtés de sa langue et la salive désagréable l’irrita. Il jeta le café dans l’évier, rinça celui-ci en regardant la nappe marron se dissoudre sous le jet d’eau. Il prit un nouveau mug, fit chauffer de l’eau à la casserole. Dans le placard, il trouva une vieille boite d’infusion. Pour ce matin ça ferait l’affaire. Dans les semaines qui suivraient, il gouterait toutes sortent de plantes et de thés, deviendrait maître dans l’art des infusions comme l’on connait les bons vins. Son palais s’affinerait comme son savoir-faire et la tranquillité du rituel immuable. Pour le moment, il observait les volutes de vapeur et la couleur de l’eau légèrement teintée de jaune doré. Le parfum doux et sucré l’invitait à se conforter dans le repos de son esprit. Il cultiverait cette sensation dans chaque aspect de sa vie en commençant par les choses les plus simples et les plus accessibles. De nouvelles richesses à portée de main. Il se dirigea tranquillement vers le salon, se nicha dans le fauteuil. Il se chauffait les mains autour du récipient le regard voyageant dans la pièce. Une impression de tristesse sombre le prit. Ça manquait de lumière. Il posa le mug sur la table basse, bougea celle-ci contre le canapé et libéra le passage pour déplacer le fauteuil jusqu’à la porte-fenêtre. Il se réinstalla, contempla le jardin. Un carré de pelouse, une haie, un parterre de fleurs, bien entretenus, bien rangés. Quelques pots et jardinières. Sud-ouest, début de matinée. Le soleil parcourrait tout le terrain d’ici à ce soir. La haie n’offrait pas beaucoup d’ombre. Son regard se tourna une nouvelle fois vers la pièce et la pénombre vieillissante. Il se leva une nouvelle fois, se dirigea vers les baies et les fenêtres, ouvrit tous les voilages laissant les vitres à nues et la lumière entrer. Il alla se rassoir, savoura la caresse de l’air chaud et doux sur ses narines. Son esprit vagabonda à nouveau.
 
Après un moment, il se décida à aller se laver. Il n’avait aucun projet, aucune attente, aucune pression. Il prit le vélo de son père. Ses tours étaient de plus en plus longs et la vieille bécane peinait. Il rentra plus tôt, surfa sur internet. En deux heures, son choix était fait. Il alla en voiture à la ville la plus proche investir dans un vélo de route. Il en profita pour prendre une tenue plus appropriée. La semaine suivante, il acheta également des baskets et une montre de sport. Les réveils n’avaient plus le même sens. La lutte permanente avait cédé la place à un entrain gai voire jouissif. Vélo ou course à pied entamaient chacune de ses journées. Il lui fallait de l’air, de l’air et de l’espace. Il découvrit une forêt à plusieurs kilomètres. L’odeur des sous-bois et de la mousse, l’humidité verte et terreuse, le craquement des brindilles à son passage, la liberté de la nature, la liberté dans la nature. A chacune de ses sorties, il abandonnait plus de poids, relâchait les entraves, les laissait là sous un arbre couché, ou avec un tas de pierres, chaque fois plus léger. Des images se formaient, s’envolaient, disparaissaient. Des pensées prenaient vie, puis des projets. Et cette phrase revenait « la liberté de la nature, la liberté dans la nature ». Par bribes, des souvenirs remontaient. Cet agriculteur devant sa ferme, un potager, les terres rouges africaines et les femmes aux paniers remplis de fruits. Et cet homme encore qui avait fait naître la vie dans la rocaille ardéchoise et dans la patience. Et chaque matin après la douche, un bol à la main, il observait le jardin laissant décanter ses idées nouvelles, sans chercher à les organiser, puis il refaisait des recherches qui feraient jaillir d’autres concepts qui se combineraient aux précédents.
 
Son père construisit bien les bacs de culture, un potager au carré, surélevé et aussi un composteur et un récupérateur d’eau. Ils combinèrent les plans, semèrent, couvrirent, paillèrent et patientèrent. Chantal se prit de goût pour les semis et les plantes aromatiques. Ils n’y connaissaient rien, ils s’étaient lancés. Au pire, ils recommenceraient.

Spread the love
Comment sont utilisées vos données de navigation ?

Nous utilisons différentes technologies de traceurs, telles que les cookies, pour personnaliser les contenus, faciliter votre navigation et analyser le trafic. Vous pouvez si vous le souhaitez, désactiver partiellement ou totalement les données ainsi collectées.

Click to enable/disable Google Analytics tracking code.
Click to enable/disable Google Fonts.
Click to enable/disable Google Maps.
Click to enable/disable video embeds.
Comme la majorité des sites internet, le blog d'auteur “lesrivieredemo” utilise les “cookies”. Un cookie est un petit fichier texte qui est déposé sur votre ordinateur pour vous fournir une navigation plus aisée. En poursuivant votre navigation, vous acceptez implicitement leur utilisation.