Elle
(10)
En rentrant, elle décida de faire le tour de la maison, d’ouvrir les placards, d’observer. Elle se sentait calme, la tête un peu vide. Depuis une semaine, elle avait décidé de ne faire comme féculents aux repas que les paquets en tout genre qui stagnaient depuis des mois. Pâtes, blé, quinoa, quatre sortes de riz : basmati, thaï, camarguais, vénéré, certains entamés d’autres non. Elle avait fini deux ou trois boites, mais il restait de quoi faire. Le « projet » cuisine était plutôt clair pour elle. Elle retrouva cependant deux ustensiles qui avaient passé la barrière du « au cas où » et qui finalement, après réflexion, ne serviraient pas. Elle les mit sur la table. En parcourant le salon, elle trouva un bibelot pour lequel elle n’avait pas de sentiments particuliers. Elle le mit au même endroit. Elle fit de même pour chaque pièce, trouva des livres, des vêtements dans sa penderie dans lesquels elle ne s’était jamais franchement sentie à l’aise mais qu’elle gardait et mettait quand même, comme si elle n’avait pas de quoi se vêtir avec plaisir pour tous les jours de la semaine. Elle les ajouta à la pile. Dans la salle de bain, elle prit la décision de finir certains de ses produits le temps de trouver des solutions de rechange. Coton-tige : facile ! Un cure-oreille, elle serait la pionnière de la maison. Les cotons passeraient en cotons lavables. Les crèmes diverses (yeux, visage jour, visage nuit, corps) se serait plus complexe. Elle ne parlait même pas du shampoing ! Elle essaierait le savon au lieu du gel douche. Elle trouva une collection de peignes certains neufs, d’autres aux dents cassées. Finalement, ils n’en utilisaient que deux. Elle les nettoya tous, garda les deux en question et descendit les autres pour les mettre sur la table. Quand elle regarda sa montre, quarante-cinq minutes s’étaient écoulées. Bandit était allongé devant la baie vitrée. Il se faisait chauffer au soleil. Elle n’avait pas eu à réfléchir sur ce qu’elle avait souhaité garder ou non. Les objets étaient venus d’eux-mêmes, la surface de la table était remplie. Elle devrait demander la confirmation aux autres afin de savoir s’ils souhaitaient garder certains de ces objets. Puis elle se dit que ce n’était peut-être pas la façon de faire. Elle avait peur que, comme elle, ils aient cette angoisse de manquer. Elle ne pouvait pas non plus les prendre en otage. Elle décida de mettre tous les objets communs dans un carton, de les oublier un temps. Si personne n’en avait eu besoin, c’est qu’elle pouvait s’en séparer. Elle nota la date sur le couvercle et plaça la boite sur une étagère du garage. Pour les vêtements et les livres elle procéderait autrement. Si David ne voulait rien garder, les volumes iraient dans les boites à lire du centre, ils seraient accueillis ailleurs. Les vêtements seraient donnés également. Elle songea un instant à les revendre. Elle n’avait pas le courage de prendre des photos, de poster les annonces… de toute façon, elle ne récupérerait pas grand-chose, cet argent était déjà parti.
Elle s’installa dans le canapé. Elle se sentait vidée, un peu flottante. Tant de ses fondements avaient été malmenés ces derniers mois, tant de ses certitudes. Chaque fois qu’elle tentait de se raccrocher à quelque chose, à ses convictions, celles-ci disparaissaient, s’éloignaient ou se dérobaient sous ses pieds telles des sables mouvants. Elle devrait prendre son temps malgré l’urgence qui la serrait, sinon tout s’effondrerait et, avec elle, sa famille. Elle tenait depuis peu un équilibre fragile. Elle regarda l’orchidée sur l’appui de fenêtre. A travers la blancheur du pétale, le soleil mettait en exergue le fin lignage des reliefs, le squelette éphémère et constant. Elle se perdit un temps dans la contemplation des ramifications, en admira l’architecture. Le travail reprenait à chaque floraison, similaire et différent, rendait chaque fleur unique dans chacun de ses éléments, gracieuse dans chacun de ses détails. Elle oubliait si souvent de les arroser, de s’en occuper et chaque fois qu’elle y portait un tant soit peu d’attention, patiemment des tiges poussaient, s’accommodaient d’une raie de lumière, croissaient et donnaient naissance à de frêles boutons puis aux fleurs délicates qui garderaient toute leur vigueur le temps qu’elle s’en occuperait. Elle sourit et pleura soulagée de ce qu’elle percevait. Elle comprenait ce qu’elle ne comprenait pas. Quelque chose se cassait et se construisait à la fois. Il n’y avait plus que l’émotion et le pétale sous le soleil caressant. Pétale écran d’un autre film. Elle laissa couler les larmes, les apprécia, respira, ne bougea pas. Après un long moment, elle se remit imperceptiblement en mouvement. Elle se sentait engourdie, lourde dans son corps. Sa tête, elle, vivait tant d’autres choses. Elle s’allongea, ferma les yeux l’image des pétales flottant encore sous ses paupières et s’endormit.
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