Lui
(10)
Il ne savait pas vraiment comment l’idée avait germée. En tout cas elle était là. Dans le jardin, devant le potager, il regardait les jeunes pousses se frayer un chemin au travers du paillage. Un vert clair et tendre. La vie qui naît et qui trouve une voie. Il sourit, le vrai travail allait commencer. Et en même temps, une nouvelle trajectoire se dessinait. Il comprit que si un homme seul pouvait faire croître une forêt dans le désert, il pouvait cultiver quelques légumes et son père pourrait prendre le relais, car il devait aller rencontrer ces hommes extraordinaires, ces hommes intègres qui avaient renvoyé la chimie et repris les traditions. Par deux fois le Burkina Faso l’avait invité. Il se devait d’y aller. Ça lui paraissait un peu dingue, il ne connaissait personne là-bas, juste ce qu’il avait vu dans un reportage sur l’Afrique de l’Ouest et ce qu’il avait découvert du travail de Pierre Rabhi. Il devait approfondir ses recherches. Pendant ce temps, il ferait au moins les démarches sanitaires, vaccins et autorisations diverses. Son projet l’impressionnait. Il avait toujours jusque là su parfaitement où il allait. Et maintenant, tout ce qu’il faisait n’était que des sauts vers l’inconnue.
Étrangement, son père ne paru pas étonné. Comme s’il avait su avant lui qu’il partirait voyager. « Pourquoi l’Afrique ? pourquoi pas l’Inde ou l’Amérique du Sud ? » furent ses seules réflexions. Thomas lui expliqua ce qu’il avait appris au travers de ses recherches. Bien que limitées à internet, elles avaient attisé sa curiosité. Comment un cultivateur avait arrêté la progression du désert en recréant une forêt et en reprenant les méthodes de culture traditionnelles, le zaï. Yacouba Sawadogo avait reçu à 80 ans le Prix Nobel alternatif pour l’œuvre de sa vie. Comment le coton Monsanto avait été banni après de mauvaises récoltes qui avaient ruinées les paysans, comment les formations en agroécologie étaient transmises, le développement, entre progrès et tradition et comment tous dans leurs évolutions cherchaient à être utiles pour leur pays. Loin des propagandes nationalistes, une véritable fierté d’être burkinabé et une véritable envie de protéger la terre de leurs ancêtres. Thomas ne se leurrait pas, tout ne devait pas être si idyllique. Comme partout l’appât du profit devait être présent. Il avait beaucoup lu sur la corruption. Mais il était attiré par l’état d’esprit, les racines de ce peuple. Il avait l’impression qu’en France, en Europe, plus rien n’avait de sens, que les possessions et il se demandait si découvrir une autre culture ne lui permettrait pas de se retrouver lui-même. Il ne savait pas comment et pourtant il en avait l’instinct. Ici pour le moment, il n’avait pas fait grand-chose à part se reposer, du vélo, courir et un potager. Son père et Chantal seraient peut-être soulagés de retrouver leur chez eux qu’il avait un peu chambouler, même s’ils disaient qu’ils étaient contents de l’accueillir. Sur le plan administratif, ça paraissait assez simple. En pratique…l’Afrique avait de façon générale mauvaise réputation. Partir seul était risqué. Mieux valait trouver un organisme. Mais là, aucune piste…Il aurait pu faire de l’humanitaire mais pour être tout à fait honnête, il ne s’en sentait pas capable et pas prêt à donner aux autres pour le moment, il avait encore besoin de son cocon, prendre du temps pour lui. Ça lui paraissait égoïste, mais c’était comme ça. Et il voulait découvrir le pays, une mission le cantonnerai qu’à une partie à la fois géographique et de la population, une seule facette du prisme en quelque sorte.
Il décida de laisser décanter. Et ça décanta, plusieurs semaines même. Les vaccins étaient faits et c’était tout. Il regardait des films, des reportages, observait les légumes et les aromates croître et son cerveau, lui, pataugeait. Même la course, même le vélo ne parvenaient plus à faire germer de nouvelles idées et un jour il du se rendre à une certaine évidence, ce qui le bloquait, c’était la peur. Lâcher son boulot, revendre son appart et ses affaires, c’était une chose, mais c’était facile quand on savait qu’on pouvait retourner chez papa. Au moins un temps. Et le temps devenait long. Partir pour un autre continent, dont on ne connait finalement rien (car les vidéos, ça ne compte pas vraiment), c’est une tout autre expérience et il ne se sentait pas capable d’y aller sans filet de sécurité. Il se sentait frustré et en colère de sa propre couardise. Il ne comprit pas pourquoi mais tout à coup il se sentit même en colère contre son père. Il se dit que ça devait faire trop de temps qu’il tournait en rond, que la cohabitation lui pesait. Et un matin, en prenant sa douche, l’ampoule s’alluma enfin. Il se mit à rire de sa propre stupidité. Il était en colère après l’éducation que son père lui avait transmise. Comme si son père était responsable de sa situation. « Allons Thomas, c’est toi qui a décidé de tout lâcher, une fuite c’est vrai, et c’est toi qui n’a pas le courage de faire le dernier pas…et t’es un peu trop vieux pour attendre l’autorisation de papa. Assume. » son père ne l’avait pas élevé dans la peur. Et il n’y avait rien de mal, bien au contraire, à lui apprendre à être raisonnable. Maintenant à lui de faire le choix, garder cela, ou non.
En sortant de la douche, il se sentit plus apaisé. Il venait, sans que personne ne le sache, de prendre ses responsabilités. Il se sourit dans le miroir, s’habilla et descendit. Chantal repassait devant la télévision.
– C’est toi Thomas ?
– Oui !
– Tiens, j’ai trouvé un truc en allant au marcher. Je ne sais pas si ça t’intéresse encore comme tu n’en parles plus, mais y’avait quelqu’un qui donnait des tracts pour un festival africain.
Thomas fut surpris. Au moment même où il venait de lâcher quelque chose (il ne savait même pas tout à fait quoi d’ailleurs), une porte s’ouvrait, comme un système de vases communiquant. Il s’en amusa presque et savait déjà qu’il devait aller à ce festival.
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