Elle
(11)
– Pourquoi ne pas s’inscrire à la bibliothèque ?
La proposition de David était venue comme ça, d’un seul coup. Là devant les livres sur la table. Elle ne répondit pas.
– C’est vrai, pourquoi acheter à chaque fois ? il parait que la notre est pas mal, dynamique, qu’ils ont les dernières sorties littéraires assez rapidement. Pareil pour la musique ou les films. Je suis sûr qu’on a plein de DVD qu’on ne regarde jamais. Ça nous ferait des sorties ciné en famille. C’est vrai ça coûte combien un DVD ? Je peux prendre des places par le CE, moins cher et plus sympa.
Carine regardait toujours son mari. Il continuait le déroulement de sa pensée sur les biens matériels, sur leur façon de consommer la culture jusque-là. Il était serein, plein de bon sens, rassurant, comme si tout allait se passer le plus naturellement du monde. Il n’était pas inquiet des capacités d’adaptation des enfants à ces changements.
– Tu parles, ils ont tous leur musique en numérique. Moins encombrant, plus rapide, sans même bouger de la maison.
Elle le laissa gérer avec les enfants. Ils furent ravis de retourner à la bibliothèque. Ils n’y allaient plus depuis quelques années. Ils pouvaient prendre quasiment tout ce qu’ils voulaient et sans payer. Noël toute l’année. Ils n’avaient qu’à demander si c’était adapté à leur âge. Finalement c’était elle la plus inquiète, elle qui avait toujours peur de manquer.
David et Jérémie trièrent assez vite les DVD, Chloé ne mis aucun veto. Deux hésitations restèrent sur l’étagère, ils verraient avec le temps. Le pragmatisme de David. Jérémie voulut quand même essayer de vendre en braderie, il rajouta quelques vieux livres qu’il avait petit et qui n’intéressaient pas sa sœur, des disques. L’argent servirait à une sortie en famille. Ils furent d’accord que si ça ne se vendait pas, l’ensemble serait donné pour ne pas encombrer. Finalement ; la majorité trouva un preneur. Carine aima cette effervescence, elle aima que David prenne le relais, qu’il soit sur la même vision qu’elle. Bizarrement, la maison semblait de mieux en mieux rangée, plus aérée. Elle avait eu peur qu’en se séparant de ses biens, elle serait également plus seule. Elle se demandait à quel point elle avait pu confondre les choses. Elle n’avait jamais eu l’impression de dépenser à outrance ou d’acheter pour combler un vide (à part peut-être les vêtements) et pourtant le vide était là puisqu’elle ne pouvait pas se séparer de « ses choses ». Elle avait peur de sortir du joli chemin tout tracé de la réussite, l’image qu’on lui avait inculquée. Et David en sortait avec une telle facilité, elle l’admirait. Sa frénésie dura encore quelques jours. Il tria ses vêtements, en donna quelques-uns. Jérémie récupéra un sweat, Chloé un T-shirt dont elle se fit une chemise de nuit. Et puis, il s’arrêta, parut plus songeur quelques jours. Ils abordèrent le sujet un soir en allant se coucher.
– Tu sais…
Elle attendit en le regardant. Il cherchait ses mots.
– Tu sais, ça m’a fait bu bien au début, tout ce tri, ce vide, cette place dans la maison, une bouffée d’oxygène. Mais je ne me leurre pas. Ça n’est pas et ça ne sera jamais assez et j’ai pas envie de me sentir frustré ou en colère. J’ai pas envie de transmettre ça à nos enfants. Jusqu’ici c’était facile.
Carine grimaça.
– Ok, facile pour moi. Je sais que c’est plus difficile pour toi, je sais qu’il y a plein de choses dans la maison que je ne gère pas. J’ai regardé ton bouquin sur la famille, le vert avec les dessins.
Il sourit.
– L’autre était trop sérieux, que du texte.
Elle sourit.
– Quand tu vois tout ce qu’ils ont mis en place. Je vois bien que je ne me suis occupé que de mes affaires, pas des tiennes, pas de celles des enfants, pas de la cuisine, la nourriture, la lessive, les produits d’entretien. Et je suis d’accord avec eux qu’il faut changer tout ça, et je le comprends, et en même temps, ça parait tellement dérisoire… quand je prends ma voiture, je suis dans les bouchons, quel sens ça a ? Au boulot, on a des gobelets jetables. Je ne vis plus que des déchets en puissance partout. Et tu sais, Jérémie et Chloé, ils ont été super sympas mais ça va pas continuer. Jérémie râlait qu’il n’avait plus ses céréales, il grinchone pour les biscuits. C’était trop beau les pommes et les bananes, ça pouvait pas durer !
Il se renfrogna en regardant le mur en face du lit. Elle lui posa une main sur le bras, le regarda avec un sourire qui se voulait apaisant. Le visage de David se détendit en réponse.
– Ça te fait ça toi aussi ? demanda-t-il.
– L’enivrement de changer quelque chose et le retour de manivelle de voir que c’est une goutte dans l’océan ?
Il hocha positivement de la tête. Ils s’enlacèrent. Il ajouta :
– J’ai pas envie de m’arrêter.
– Moi non plus.
Il l’embrassa sur le front.
– Je t’aime.
– Je t’aime.
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