graines (21)

Lui
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Norm’Africa, festival normand des patrimoines immatériels d’Afrique de l’Ouest.
Il pénétra dans une parenthèse. Bien orchestrée, certes, mais il n’était plus en France. Passé le stand d’accueil, la musique et l’odeur de l’encens vous invitait.

Il flâna entre les stands. Il fut déçu. Il ne savait pas à quoi il s’attendait en fait. Il trouva des stands artisanaux, du travail du cuir, du bois, notamment l’ébène, des bijoux. Le stand des produits locaux l’attira davantage. Du bissap, du kinkéliba et autres plantes et ingrédients dont il n’avait jamais entendu parler. Il goutta les infusions sucrées, se prit à observer le rituel du thé, goutta un beignet de banane plantain. Se faire expliquer les spécialités culinaires lui donna faim et il se laissa tenter par un yassa, poulet, oignons, citrons, moutarde et tout un tas d’autres ingrédients qu’il ne maîtrisait pas. Il se régala, y ajouta un verre de gingembre. Il apprécia le gout relevé poivré et sucré, il se sentait vivifié et réchauffé. Il acheta différentes plantes à infuser, remercia, continua son tour.

Bien rassasié, il prit le temps de s’asseoir et d’observer. Il découvrit toutes les couleurs. Les pagnes, leurs graphismes variés, leurs nuances vives et contrastées. Ça vibrait la vie et l’énergie. Il ressortait également des couleurs de nature, des noirs, des ocres, des bruns. Au loin, il regarda un homme travailler au pinceau. Il paraissait absorbé. Autour de lui, étaient accrochés des sortes de pagnes différents des autres. Des formes géométriques, des arrondis, des motifs simples et précis. Thomas s’approcha du stand. Son regard était aimanté. C’était bien du tissu, mais un gros tissu épais comme du coton. Il fut surpris dans son étude.
– Bonjour !
– Bonjour, pardon…j’étais… fit Thomas sans mot montrant du doigt ce qu’il observait.
– Allez-y, c’est fait pour regarder.
Thomas se retourna sur la tenture.
– C’est quoi ?
– Du bogolan.
L’interlocuteur comprit que Thomas ne connaissait pas et poursuivit.
– C’est un tissu de coton teint et peint à base de la terre. Bogo, c’est argile, et lan, c’est à base du, avec. Bogolan ça veut dire avec la terre. C’est une technique traditionnelle de teinture à base de plantes, de racines, de différents pigments et de peinture à partir d’argiles de différentes couleurs.
– Tout est naturel.
– Voilà, oui, tout est naturel.
– Ça prend du temps ?
– Ça dépend de la taille. Il faut compter le temps de teinture du tissus en coton, le séchage au soleil. Une fois que le tissu est préparé, on applique différentes couleurs avec les argiles, on les sèche à nouveau au soleil et on les laves à nouveau. On peut refixer avec différentes plantes.
– En fait, vous ne faites que des aller-retours ?!
– On peut voir ça comme ça, mais on ne revient jamais à son point de départ et on dépasse toujours un peu les limites déjà fixées.
L’image fit sourire Thomas. Il l’observa travailler, regarda les autres bogolans.
– Où avez-vous appris à faire ça ?
– J’ai toujours été attiré par le dessin. Déjà petit je dessinais. Et j’aimais la terre, faire pousser des choses. Mes deux passions. J’ai dû abandonner les études tôt et j’ai appris tout seul la peinture. J’ai eu la chance de faire des stages en 2000 et 2001 pour développer ma technique. L’année d’après, en 2002, Papa Mahamoudou Kouyaté m’a confié la réalisation des décors du film « Siraba » et de fresques pour le centre culturel Djelya à Bobo Dioulasso au Burkina Faso.
Thomas fut piqué. Son interlocuteur dut le percevoir mais y mis un autre sens.
– Papa Mahamoudou Kouyaté était décorateur-scénographe pour le théâtre et le cinéma…
– Merci…pardon… vous êtes du Burkina Faso ?
– Oui, je suis burkinabé. De Bobo Dioulasso, la capitale culturelle du Burkina Faso.
Thomas observa l’homme, troublé.
– Pardon…
L’homme sourit, un peu gêné par la réaction de Thomas.
– Je ne sais pas comment dire…Parlez moi de vous, de ce que vous faites, de votre ville, du Burkina…
Son cœur palpitait, une vague d’incrédulité le traversait de se retrouver au bon moment, au bon endroit, devant la bonne personne. L’homme sourit comme s’il savait exactement ce qui était en train de se passer.