Lui
(6)
Il avait finalement passé tout le week-end chez son père. Le dimanche soir était arrivé comme un générique de fin d’un film dont on ne voulait pas quitter les personnages. Il serait bien resté. Les heures avaient coulé à la fois comme le sable délicat et comme le torrent de la rivière. Chaque minute avait été plus précieuse que la précédente amenant un sens nouveau à chaque chose et lorsqu’il voulut faire le bilan des deux derniers jours, celui-ci ne lui apprit rien, la simple confirmation de ce qu’il savait déjà : son regard avait changé et avec lui ses envies et son avenir. Il regagna le cœur pesant son appartement en ville, le manque d’espace et surtout de nature. Il se rendit compte que la surface au sol lui importait peu finalement, ce qui comptait c’était le champ sans limite que pouvait embrasser son regard avant d’être arrêté par un obstacle et la nature de celui-ci. N’y voir qu’à cinq ou dix mètres pourquoi pas, à condition que ce soit pour la beauté, l’esthétique de la nature. Il fut troublé par l’ensemble de ces nuances de gris à perte de vue. Même repeint, même remis aux frais, le béton restait le béton. Il souffla, posa son sac, enleva son manteau, l’accrocha, ouvrit le frigo et sortit une canette de soda, referma le frigo, s’appuya contre la porte, fit basculer la capsule jusqu’au son caractéristique de la libération du gaz sous pression qui se relâche, pscchhiit, croisa les jambes, but une gorgée la vue obstruée par le bâtiment d’en face. Le liquide ne lui fit pas plaisir. Il regarda la boîte, soupira. Il s’approcha de son sac, gagna sa chambre, posa la boîte sur la table de chevet et sortit ses affaires. Il sortit le linge, lança une lessive, remit le sac vide dans le placard. Sur le lit, restait le chargeur de téléphone, l’ordinateur portable (qui n’avait pas servi finalement) et un livre qu’il avait trouvé dans une étagère de la bibliothèque de son père. La même bibliothèque qui avait traversée les âges depuis qu’il était petit, toujours remplie d’un enchevêtrement de volumes en tout genres et dont il découvrait à chaque fois sur les tranches de nouveaux titres passés inaperçus jusque-là. Cette fois-ci c’était un Daniel Pennac qu’il l’avait arrêté : « le sixième continent » suivi de « ancien malade des hôpitaux de Paris », théâtre. Thomas reprit son soda, regagna le salon et s’affala dans le canapé, les pieds sur la table basse. Il reposa le soda et se creusa un nid dans le sofa en ouvrant le livre. Il ne savait pas combien de temps avait passé quand il leva la tête à la fin de la première pièce. Il avait dû allumer la lumière machinalement. Il n’avait pas mangé, avait finalement fini la canette. Il se lava, s’étira et regarda perplexe le livre qu’il venait de reposer sur la table. Un continent de déchets, une industrie productrice de déchets, des produits comme les autres finalement, faire fortune avec les déchets jusqu’à en étouffer la planète. Ça lui rappela un épisode de Futurama. Dans le futur, la terre, poubelle géante, est abandonnée au profit d’une autre planète. La première continuera de servir de dépotoir pour la nouvelle terre d’accueil de la population. Il ne put pas non plus s’empêcher de faire le lien avec le projet d’Elon Musk : explorer l’espace pour voir si l’on pourrait coloniser Mars quand notre planète serait à l’agonie. Il pensa à d’autres romans ou films d’anticipation, secoua la tête. Depuis quand savait-on qu’on allait droit dans le mur ? Et l’on ne faisait rien pour redresser la barre. Ces idées tournaient encore dans la sa tête lorsqu’il alla se brosser les dents, s’allonger dans son lit regardant le plafond. Son réveil sonna le lendemain sans qu’il eut l’impression d’avoir dormi. Il ne se sentait pas fatigué mais toujours préoccupé. Il allait devoir retourner à ses colonnes de chiffres. Il se demanda comment faire coïncider ses compétences et ses nouvelles aspirations. Et puis, il se demanda quelles aspirations. Être utile ? C’était bien vague. Il n’avait aucune idée du comment même le pourquoi (l’utilité) était flou. Changer le monde ? Il ricana en son for intérieur. Déjà être moins nocif, ce serait pas mal. Mais partout où il posait les yeux, il ne voyait que de la souffrance, de la destruction organisée. Une fois prêt, il saisit ses clefs sur la tablette, prit son manteau et referma la porte. Ce midi, il retournerait au petit snack se ressourcer. Peut-être aurait-il une idée.
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