Elles
(4)
Cet été là, son environnement changea encore. Etait-ce seulement l’été ? Il faisait chaud sous le soleil haut. La terre dure craquelait en blocs massifs jusqu’à des profondeurs insondables. Elle avait failli basculer, là, dans cette tranchée qui s’ouvrait sous elle. Elle n’était retenue que par une racine. Elle l’aurait remerciée, oui, elle l’aurait fait, mais il n’y avait plus aucune vie dans celle-ci. Même sèche et racornie, elle jouait encore un rôle, forme de passerelle entre deux continents, deux plaques tectoniques à la dérive, sans océan entre elles, sans personne non plus pour vouloir traverser. Car qui pourrait percer maintenant cette glaise compacte et pour y trouver quoi. On était loin du déluge des pluies lavantes qui avait plongé ce même terrain quelques semaines plus tôt en de vastes étangs débordants des fossés et des chaussées. Qu’était-il resté de cette eau, qui avait-elle nourri ? Qui avait-elle abreuvé ? Qui l’avait fixée ? Elle avait ruisselé sans fin, faute d’interlocuteur, avait poursuivi son chemin vers un milieu plus enclin à l’accueillir, personne ne l’avait retenue. Personne pour l’aider à jouer son rôle, un autre que celui de laver la terre. Et dans les alternances météorologiques anarchiques, la terre se rétracta à nouveau, aussi vite qu’elle n’avait été inondée. Elle était là, du haut de sa racine, contemplative et songeuse. Elle était encore si jeune, elle n’avait pas encore manifesté en elle le moindre bourgeon de vie, et pourtant, et pourtant… Elle avait déjà vu et compris tant de choses. Là, sur cette matière, meurtrie, témoin de tant de violence que le petit peuple était parti, les travailleurs du silence et de la patience, les seuls à avoir reçu le droit de creuser la terre, ces initiés, l’avaient désertée. Que pouvaient-elles offrir, elles, sans eux, leur façon de se parler, de leur parler, communication indicible et secrète et un savoir-faire qu’elle croyait perdu. Et toutes les tentatives pour les remplacer échouaient. Quels que soient les produits ajoutés, les machines passées, les trous creusés, la terre se désolait. Alors pourquoi continuer ? Où était la différence entre la persévérance et l’acharnement ? Recommencer toujours la même chose et attendre un résultat différent, n’est-ce pas ça la folie ? Du haut de sa racine, elle contempla le gouffre noir et elle se demanda qu’est-ce qui était différent la concernant. C’est facile de faire le bilan des autres et son bilan à elle ? Elle avait attendu, et attendu, et attendu. Son obstination à elle, c’était quoi ? Il n’y aurait peut-être jamais de bon moment, en était-elle consciente ? Maintenant, il n’y avait plus rien autour d’elle, rien qui aiderait. Tout était vide. Tout, sauf elle justement. Elle ne pouvait pas croire que ce qu’elle avait senti au plus profond d’elle-même ne pouvait pas exister. Même si les autres avaient renoncé. Elle, elle y croyait toujours. Alors, elle refusa ce choix, non parce qu’elle ne l’avait plus, mais parce que sa conscience lui dictait toujours de montrer le chemin et de se faire confiance.
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